AccueilActivitésArchivesEn 2015Tristan Tzara, l’Homme approximatif, poète, écrivain d’art, collectionneur, compte rendu par Isabelle Diu

Tristan Tzara, l’Homme approximatif, poète, écrivain d’art, collectionneur, compte rendu par Isabelle Diu

Page publiée le 21 novembre 2015

Tristan Tzara, l’Homme approximatif, poète, écrivain d’art, collectionneur

Exposition présentée du 24 septembre 2015 au 17 janvier 2016
au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg

Compte rendu par Isabelle Diu, directrice de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

Cette exposition est organisée en partenariat avec la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et avec le soutien de l’Institut Culturel de Roumanie de Bruxelles et du consulat général de Roumanie de Strasbourg. Elle est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication.

Les lecteurs de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, qui conserve le passionnant fonds Tzara, riche de toutes ses archives, manuscrits, carnets, photographies, qu’accompagnent une impressionnante correspondance et les éditions précieuses de la quasi-totalité de ses livres, savent bien que Tzara n’est pas seulement l’un des trublions radicaux fondateurs de Dada. Mais le rappeler aux visiteurs de la première exposition qui lui est intégralement consacrée n’est pas inutile, tant les années zurichoises, puis les premières années parisiennes, jusqu’en 1922, ont occulté le reste de son œuvre : elle se déploie pourtant, foisonnante, complexe, sans compromis, dans une recherche toujours renouvelée de la plus haute poésie, en constante relation avec les amis peintres et sculpteurs, jusqu’à la disparition du poète, en 1963.

Poète avant tout, et dans sa vie même, Tzara l’est plus que nul autre : se faisant voyant comme Rimbaud, « voyant lyrique » selon les mots de son ami Benjamin Fondane, son regard se porte sur toutes les formes d’expression artistique. Auteur de textes sur l’art, il devient très tôt collectionneur passionné d’« art primitif » et d’« art brut ». Profondément humain en dépit du doute qui le ronge, cet « homme approximatif », tout en proclamant que « le poète n’a d’engagement qu’envers lui-même », est de tous les combats pour la vie et pour la paix ; il se range aux côtés des Républicains espagnols en 1936, entre en Résistance dans la France occupée, alors même que son identité de juif roumain l’expose au danger, et plus tard, prend résolument position contre la guerre d’Algérie. S’il a cheminé un temps avec le Parti communiste, il rompt sans éclat avec une idéologie devenue mortifère après l’entrée des chars russes en Hongrie en 1956.

Le parcours chronologique de l’exposition se déploie sur 700 m2 organisés sur deux niveaux pour tenter de mettre en lumière les multiples facettes de l’homme au monocle. La jeunesse roumaine de Samuel Rosenstock, les influences symbolistes qui marquent les jeunes poètes groupés autour de leur revue, Simbolul, sont d’abord évoquées, avant le début de l’aventure Dada à Zurich. Les provocations débridées des soirées du Cabaret Voltaire sont jugées trop bien connues pour que l’on s’y arrête longuement : c’est plutôt sur le dialogue incessant avec les autres artistes d’avant-garde que l’exposition choisit de mettre l’accent. Aux cimaises sont accrochées des œuvres plastiques des amis Janco ou Hans Arp, tandis que les vitrines présentent pêle-mêle des textes de Tzara, des numéros de la revue Dada publiée à Zurich puis à Paris, mais aussi d’autres, de Nord-Sud ou de Sic, que Tzara obtenait de Reverdy et de Pierre Albert-Birot avant son arrivée dans la capitale française. Ainsi des ponts sont jetés entre les diverses formes de manifestations artistiques que l’époque ne distinguait pas et rangeait sous la même dénomination d’« avant-gardes ». Tzara lui-même, dans une lettre adressée à Jacques Doucet en 1922, n’assimilait-il pas sa recherche sur le renouvellement poétique à celle d’un Picasso, d’un Matisse, d’un Derain qui usent seulement d’autres « matières » que le langage ? Une place centrale est réservée aux manuscrits, notamment celui des « Vingt-cinq poèmes » acquis par Doucet à l’instigation de Breton et d’Aragon en 1922 ; longuement travaillés, les textes de Tzara sont fréquemment ponctués de dessins de masques ou de têtes stylisées, qui jouent sans doute un rôle d’embrayeur de l’écriture.

La correspondance ici exposée le montre d’abord soucieux de publicité : plus encore que l’inventeur de Dada (on sait que la paternité du mouvement fut toujours sujette à caution et surtout qu’elle importait bien peu à ceux qui s’en réclamaient), Tzara s’en est fait l’infatigable passeur. Le génie de la communication l’habite tout autant que celui de la mise en scène. Après la mort de Dada en 1922, s’éloignant de ses amis surréalistes par horreur des dogmes, Tzara choisit le retrait dans sa maison montmartroise dessinée par l’architecte Adolphe Loos, entouré de sa riche bibliothèque. Ses livres alors le montrent toujours en résonance avec ses proches, qu’ils portent des envois souvent émouvants ou soient le fruit d’un dialogue avec tel ou tel artiste. Ainsi, après les Vingt-cinq poèmes des débuts, illustrés par Arp en 1918, viennent notamment le splendide Parler seul, écrit au sortir de la guerre, ponctué de lithographies de Mirò, que publient les éditions Maeght en 1950, ou La Rose et le chien, poème perpétuel composé de disques rotatifs, avec des gravures de Picasso, que réalise l’imprimeur Pierre-André Benoît en 1958.

Exposer la littérature semble une voie féconde aujourd’hui, ce qui ne peut que nous réjouir. Après l’exposition que la BPI consacrait à Claude Simon, en partenariat avec la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, en 2013, les musées explorent la question avec un certain bonheur : autour de Michel Leiris au Centre Pompidou-Metz en 2015, de Tristan Tzara aujourd’hui au MAMCS, les expositions font entrer en résonance textes littéraires et arts visuels et recréent ce monde où, dialoguant entre eux, les artistes nous parlent, encore et toujours, droit au cœur.

Uli

Statue du Nord de la Nouvelle-Irlande, hauteur 125 cm.
Don d’Aube et Oona Elléouët

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